Depuis quelques kilomètres , le moteur crachote, bourbouricote , puis soudain reprend vigueur pour recommencer
quelques centaines de mètres plus loin ses vocalises . Mon chauffeur me regarde avec une moue qui en dit long sur son inquiétude .
Bêtement je lui demande si nous avons bien de l'essence dans le réservoir .
Alors là c'est son regard courroucé que je reçois en pleine face . je me ratatine sur mon siège . Je comprend que malgré son
respect pour mon grade je vais tout de même en prendre ...... pour mon grade . La Jeep continue a cahoter, son moteur a crachoter,et moi a soliloquer " on va finie a pied , on va
finir a pied , on va fi......." Et ce sacré moteur vient de nous lâcher !
Cré vin diou s'exclame mon chauffeur , se rappelant les jurons de son auvergne natale , on va finir a pied ........
et je suis pris de fou-rire , tiens lui aussi pense finir a pied ! Par acquit de conscience il ouvre le capot , qu'il referme aussitôt - peut pas toucher qu'il me dit , encore trop chaud
...... et s'éloigne pour pisser un coup . Par mimétisme plus que par besoin je le rejoint pour arroser le désert
.
Une espèce de brume sur l'horizon , qui en approchant fait du bruit et nous balance en pleine figure le sable et la
chaleur de l'enfer , mélangés dans une cocktail saharien dont nous nous protégeons en plongeant derrière la Jeep . Mon auvergnat attrape une toile derrière la Jeep et nous en recouvre
.
Le sable crépite sur la toile mais nous avons l'impression que la chaleur diminue . Le vent ne se calme pas et je
sens comme un petit monticule de sable entourer la jeep et la bâche sous laquelle nous sommes .......ensablés !
Après quelques heures qui nous ont semblé horriblement longues ,le calme revient . Lentement nous nous dégageons de
la gangue sableuse qui nous fixait sur le bord de la piste . Nous avons une soif atroce et pas des tonnes d'eau. En attendant les secours il va falloir se rationner .....et pourtant après ce
sable , un demi de bière bien fraîche , comme a la Chope du Nord......... La Chope du Nord , devant la gare du Nord , à Paris bien sûr ....L'auvergnat me regarde bizarrement . J'ai
parlé tout haut , j'ai rêvé tout haut ..... mais , merde , que fait-on dans ce pays de sable , de pierres , de bêtes venimeuses ..... ?
- caporal-chef , ça va bien ?
- mais oui l'auvergnat , ça va .....mais fait soif !
Lui , trois ans de Légion ,le désert il connaît , la piste il connaît ,le vent de sable il connaît .....mais pas moi
. Que suis -je venu faire dans ce pays dans cette galère ? Défendre ton pays m'a dit le capitaine ........ mon pays , il est vert , il y a de l'eau aux sources et aux fontaines , sur la terre
pousse du blé , dans les près il y a des vaches ......
- tu sais chef , a cette heure ils doivent comprendre que nous avons un problème . Ils vont envoyer un chenillé . vous n'auriez pas dû
insisté pour partir après le convoi . S'il y a des fells dans le coin .........
J'ai compris son reproche , il a raison , je suis fautif comme le capitaine qui nous a laissé partir . En principe ,
si " La mouquère " - c'est le nom de la jeep- n'avait pas fait des siennes ....... nous l'aurions rattrapé le convoi . Si le message annonçant ma permission en France était arrivé plus tôt je
l'aurais pris ce convoi . Je m'aperçois que je pense la France en pensant a la métropole .
- ici aussi nous sommes en France me rétorque mon chauffeur .
J'ai encore pensé tout haut ........ le désert me pèse . Pour moi toutes les dunes se ressemblent et leur putain de
minaret c'est tout de même pas la "Bonne Mère " . En attendant , le ciel commence a s'étoiler , nous avons faim et soif et toujours pas de chenillé . En remontant dans la jeep , je m'aperçois que
la caisse
chargé a l'arrière contiens un SCR300 . Le radio que je suis reprend espoir . Vérification du matériel ....ça marche
.
- ici antilope bis (au flan j'ai pris cet indicatif ,le convoi étant "antilope" )
- antilope bis tu passe sur le canal de la bastoche ....... Rogers ?
Le coup de bol , c'est Marcel , un vieux pote de la Bastille , qui est au bigot ce soir au Fort . Avant que les fells trouve le canal il
a le temps de m'expliquer que le chenillé est en panne lui aussi a deux bornes du Fort . Mais qu'il n'y a pas de fells signalés dans notre secteur .
Avec mon auvergnat nous partageons une boite de "singe" (du boeuf) et nous humectons nos lèvres , faut garder de
l'eau .......
Soudain il nous semble voir des lueurs dans le lointain et un bruit de moteur confirme que quelque chose bouge sur la
piste . C'est pas le chenillé , ce moteur qui approche chante comme douze cylindre d'un voiture de course . Cela ne peut pas être des fells non plus , alors quoi , alors qui
?
Le monstre s'immobilise a coté de nous dans un dernier coup d'accélérateur a vide comme pour dégorger les cylindres .
Phares éteint nous pouvons admirer un véhicule très particulier , haut , sur d'énormes roues , hérissé d'antennes , mais allongé avec quelques vitres que l'on sent "pare balles"
. Une porte s'ouvre et un rire de gorge précède une femme en short , la poitrine lourde soutenue par une sorte de filet
- alors les petits militaires nous dit-elle d'une voix de basse a faire bander un eunuque...... on est en panne
?
- heu , oui , nous attendons le chenillé ...... et a ce moment là dans la clarté lunaire je remarque une superbe Croix du Sud sur
la portière ........et je réalise que celle que je croyais être une légende est devant moi ...... celle que les sahariens appellent "La Princesse du Sud".......
- je savais que vous étiez là , j'ai capté votre conversation avec le fort , pour une fille de la Bastille comme moi ce n'étais
pas difficile a trouver ......
- de la bastille , alors ça ........
- ça vous en bouche un coin . Bon , vite , montez a bord tous les deux nous appellerons le fort . Votre chauffeur peut monter dans le
poste de pilotage avec mon équipage et vous je vous offre un siège dans mon studio roulant .
Les deux touaregs sont souriants et offrent a boire a mon auvergnat , pas étonné du tout . Quand a moi je vais
de surprise en surprise , c'est comme un rêve et elle rit de mon étonnement . Après avoir rassuré le fort , je me retrouve a déguster un grand Martini-gin a coté d'une fille de rêve
.
De rêve ? Non elle est bien réelle et la peau mate de ses cuisses attire mon regard et je sens comme une envie
brûlante de les toucher . Elle me raconte sa vie dans le désert avec un groupe de touaregs dont elle est un peu comme la déesse , comme la reine . Elle est fière de me conter comment elle est
devenu cette fameuse ,cette légendaire "Princesse du Sud ".
........ je suis née dans une petite soupente d'un immeuble de la rue de Lappe . Fruit des amours d'une fille de la Bastille et d'un
prince Saoudien . Tu vois d'où viens mon teint mat et la beauté de mon corps me dit-elle avec un sourire a faire fondre un séminariste , en croisant et décroisant ses longues jambes dans un
mouvement qui m'existe encore plus .
Mais ma vie ici , je la dois a un autre amant de ma mère , amoureux du Sahara , extraordinaire chercheur et
inventeur , que j'ai suivi ici ...... par amour a l'âge de quinze ans......il m'a appris la vie du désert , il m'a confié a ce groupe de touareg avant de mourir en me léguant une fortune immense
a condition que je continue ses recherches sur les origines des tribus qui peuplaient et peuplent encore le Sahara .
Mon autre moi-même est mondialement connu pour ses recherches mais je fuit le monde dit civilisé et je me cache
derrière la légende de la Princesse du Sud .
Mais je ne suis pas une légende pour le gouvernement Français et ses services secrets ajoute-t-elle dans un grand rire ......... aux
quels je rend quelques services par ma connaissance du désert ...........
Je me demande pour quoi elle me confie tout cela , besoin de parler a un "civilisé", besoin de se justifier ? Mais de
quoi ? Elle ne fait rien de mal , elle rend service et continue les recherches de son .......disons , compagnon ....... décédé . Il fût en même temps , son père adoptif et son amant
!
Inconsciemment , je m'assied a coté d'elle et enfin , n'en pouvant plus , pose ma main sur une de ses cuisses . Elle
ne se dégage pas . Je l'attire vers moi et lui ôte ce filet qui soutiens ses seins sur lesquels ma bouche se pose et tête goulûment ses pointes déjà raides par le désir
.
La nuit sera trop courte , au matin , le chenillé est là et nous embarque . Adieu
ma Princesse du Sud , je sais maintenant que tu n'est pas une légende .
Presque cinquante ans se sont écoulés et devant le clavier de mon ordinateur je pense encore a elle et la
légende de la Princesse du Sud qui , m'a dit un pétrolier algérien , courre encore dans les dunes du Sahara .
Quand les corbeaux volerons blancs alors seulement s'effacerons les souvenirs du
régiment ........