Là-bas , au milieu de la colline , une lumière rose commence a s'étendre . Brutalement tout l'horizon s'illumine , le soleil n'est pas loin . Les gars somnolent . Seules les sentinelles , planquées derrière un rocher ou un arbuste rabougris ,sont en alerte . Il a fait froid cette nuit , les doigts sont gourds sur le métal des armes . Une petite buée sort de la bouche de Gérard . Moins dix me chuchote -t-il en souriant .
La nuit a été longue a attendre les passage des fells , le jeune lieutenant frais émoulu aurait du démonté cette embuscade depuis longtemps . Fatigue inutile des nerfs des gars . L'adjudant Clarence lui propose de redescendre immédiatement au fortin . Mais le Lieutenant du Chemin de la Templerie , que les gars appellent simplement "du chose" veut que nous remontions voir si les fells ne se sont pas arrêtés a mi-pente dans la fameuse carrière ou a eu lieu le massacre des ouvriers . Je propose a l'adjudant d'aller voir avec deux gars pour éviter le déplacement de l'ensemble du groupe . Les gars commencent a bouger et pisser sur les plantes aromatiques..... mais en vain , ça sent toujours la pisse !
Le "du chose" redresse sa grande carcasse , tire sur le bas de sa veste de saut comme pour effacer les plis de son costume mais ici dans le djebel ce geste est dérisoire . Dans un sens il est touchant , il est de la race de ses saint-cyriens qui montaient a l'assaut des tranchées ennemies , sabre au clair . Mais ici le panache n'est plus de mise , c'est la guerre , la guerre sordide , la merde et le sang . Même sous le soleil et ce ciel bleu , un mort est toujours un mort . Alors mon lieutenant c'est notre peau qui compte , pas la tenue .
Sa voix sèche et impérative s'adresse a moi - caporal , prenez deux hommes avec vous , nous allons éclairer ! En langage militaire cela veut-dire que nous allons crapahuter jusqu'au faite de la colline pour voir derrière ce qui se passe au lieu de redescendre au fortin . Si en plus il faut s'embarrasser de ce débutant , ça va pas être drôle . Gérard a compris , il se lève , récupère Bob au passage et vient se poster a coté de moi . Avant que le lieut soit trop prés pour nous entendre je chuchote - t'as des grenades en plus - ouais t'inquiète pas , des bonnes . Il faut dire que Gérard est un spécialiste des " pieges-a-cons " , des grenades qui pètent juste avant de toucher le sol .
Du chose , prend la tête du groupe , nous traversons la piste et remontons a mi pente , cette manoeuvre devrait nous faire arriver juste en face de la carrière, au dessus des bâtiments abandonnés par l'entreprise . Mais j'ai le sentiment que les fells savent que nous sommes là et je demande à Gérard de monter plus haut . Avec son flair de chien de chasse il saura vite repéré les éventuels chouffs des félouzes . Nous continuons a avancer avec prudence . Au moment ou j'aperçois le toit de l'ancienne infirmerie , j'entend le sifflement bref , comme un cri d'oiseau , de Gérard . Il arrive sans bruit , pas de sentinelle de ce coté nous dit-il mais deux au dessus de la carrière même . Le lieutenant demande - combien sont-ils ?- on ne peut pas savoir car la grosse pierre qui était censée boucher la petite grotte sur le coté a été poussée - donc ils sont dans la grotte , nous allons les déloger , il faut prévenir l'adjudant qu'il vienne se mettre en position avec les hommes . Un groupe face a la carrière et le reste sur la droite - mais mon Lieutenant........ - non caporal je ne vous écouterais pas , exécution !
Par expérience je sens que nous allons faire une connerie et qu'ils pouvaient être aussi planqués a un autre endroit . Couvrez moi je vais aller voir la situation depuis l'infirmerie abandonnée me dit-il ...... toujours Saint Cyr , ces officiers qui restaient debout sous la mitraille au lieu de se coucher comme leurs troupes , voulaient voir ........Je le vois descendre souplement avec précaution . Au moment ou il franchit l'espace entre les derniers blocs de pierre et le coin de l'infirmerie , un rafale de mat49 venant du bâtiment , le coupe en deux ....... " non caporal , je ne vous écouterais pas , exécution " .
Pour toi , mon lieutenant , ce fut l'exécution sommaire , comme un chien , sans réplique possible ! Tu vas avoir droit aux honneurs militaires . Une croix de la valeur militaire a titre posthume . Mais pour tous les Clarence revenant d'Indochine tu es mort par ta connerie . S'il avait attendu le bouclage par l'adjudant , les grenades a fusil au bons endroits lui auraient évité une mort inutile . La sienne et celles des deux copains du groupe tombés lors de l'assaut .
Car le combat a eu lieu ..... sept fells au carreau , trois blessés gravement , fait prisonniers mais deux morts chez nous . Les autres fells ont décrochés et se sont évanouis dans la nature . " Opérations de maintien de l'ordre dans le Constantinois " ont titré les journaux.....maintien de l'ordre .... la guerre oui !
Récit d'une aventure d'un copain en 1956 dans un régiment parachutiste .